Lecture / Le Roman de Renart (Album)

De Renate Raecke (texte) et Jonas Lauströer (dessins)

Éditions Minedition (2012)

Traduit de l’allemand par Julie Duteil

80 pages

Environ 16 euros

Tout public

Lecture du 04/10/2021

Il me faudrait au moins une semaine entière, commença Ysengrin dans un geste théâtral, pour énumérer tout ce que Renart nous a fait à ma famille et à moi !

Parmi les grands classiques des histoires de renards, Le Roman de Renart occupe assurément la place de choix. Les premiers épisodes de cette belle épopée de la ruse rousse se sont écrits en terre flamande vers la fin du XIIème siècle, où c’est d’abord Ysengrin le loup qui récolte la part belle. Les chants ont migré vers le Sud, accordés différemment par les trouvères et troubadours des États de France, qui ont rapidement préféré Renart le goupil, au point que le nom du personnage est devenu indissociable de l’animal de nos campagnes ! Il plait bien aux petites gens, Renart, il est gouailleur, il se moque de l’Église et de la Noblesse, sa richesse est faite de bons mots et ripailles sur la paille. Renart devient dès le XIIIème siècle une véritable star des scènes et estrades de bois, il est le sujet de joutes verbales endiablées à la fois parmi le peuple et les hommes de lettres, qu’il rallie sous le pavois de Maupertuis, château de la révolte et des êtres les plus malicieux.

L’album de Renate Raecke et Jonas Lauströer met en mots et en illustrations quelques épisodes emblématiques de cette aventure romanesque et fort vulpine, sous le regard tranchant de la justice de Noble le Roi Lion, s’efforçant tant bien que mal de faire venir le goupil à son propre procès…

Mon ressenti :

J’ai découvert cet album à une vente de livres déclassés de la médiathèque de Nevers, ma copine me l’a déniché dans une pile d’ouvrages jeunesse ! Sa couverture m’a intrigué comme rarement. Il en existe bon nombre des albums inspirés du Roman de Renart, des plus ou moins réussis, et généralement tous affichent un renard à l’air solaire sur leur première page. Celle retenue par Jonas Lauströer a ce je-ne-sais-quoi de vibrant et mélancolique, un quelque chose d’indiciblement beau avec ce chat de dos, la corde du pendu visible derrière les planches, et un Renart à l’air tout à la fois protecteur et manipulateur. J’adore ce parti-pris, qui éclaire le personnage avec subtilité et émotion.

L’histoire opte pour des choix narratifs tout aussi surprenants. Généralement les auteurs se focalisent sur le premier livre du Roman de Renart, celui de la gloire de Renart où il joue des coups pendables à ses amis de tout poil, où il en sort presque toujours vainqueur et n’est jamais inquiété par la justice de Noble le Lion. Cette version illustrée choisit tout au contraire de réinterpréter le deuxième livre du Roman de Renart, celui où Renart est mené à la Justice par tous les animaux de la forêt (à l’exception de son cousin blaireau) et où il est confronté à ses méfaits.

Le ton de la narration est remarquablement fidèle aux versions d’origine du Roman, c’est-à-dire badin et rigolard tout autant que sauvage et cruel. Peu d’ouvrages remaniés évoquent la raison pour laquelle Renart est amené à la Cour, et l’album ici l’évoque dès la première page de manière étonnamment très directe pour un livre jeunesse : le vil goupil est accusé d’avoir tabassé les enfants d’Ysengrin et d’avoir violé Dame Hersent la louve. Autant dire que Renart n’est pas un tendre dans cette version illustrée, et – une fois n’est pas coutume – il n’attirera pas nécessairement la compassion du lecteur !

Le lecteur aura plaisir à lire quelques ruses du goupil, parmi lesquelles sont mises à l’honneur son talent pour faire le mort et se jouer des hommes (en se faisant la malle avec leurs victuailles), sa propension à piéger ses camarades en des lieux dangereux (mais riches en butin, qu’il ne partage pas) ou encore son irrésistible passion à se débarrasser avec le sourire des animaux qui l’importunent (talent fort utile).

Toutes ces petites scènes sont très bien écrites et racontées avec une économie de mots remarquable, et la traduction est franchement réussie pour parvenir à transmettre ce ressenti !

Le travail d’illustrations est charmant, avec un sens du détail réaliste particulièrement remarquable. Chaque scène est superbement affichée sur des double-pages entières pour le plaisir d’en prendre plein les mirettes ! Une mention toute particulière pour les costumes des personnages qui sont juste trop trognons ! Renart dans son ciré jaune me fait éclater de rire à chaque fois. 😊

Cette folie exubérante des mots et des dessins est communicative, et même si Renart est une enflure et qu’on ne le changera pas, le lecteur se retrouve maintes fois à sourire et partir en quête d’une nouvelle malice dans la besace.

Sur ce beau repas en famille (pour les renards, pas pour le colvert ^^), je vous souhaite de délicieuses lectures, jusqu’à nous retrouver pour de prochaines chroniques 😉

Liam Azerio, toujours libre comme l’air

Publié par LiamAzerio

Renard curieux !

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer